Récit d’un atelier avec une artiste culinaire qui fait tout avec rien (ou presque)

Dans le cadre de sa résidence à la Villa Belleville, Naomi Feigelson (connue sur Insta sous le nom de TeachMeHowToDough) investit la cuisine et apprête des concepts pour le moins inattendus pour élaborer ses installations culinaires.
Ici pas de cuisine dispendieuse ni de banquet tape à l'œil, nous sommes dans l’arte povera du design culinaire. A travers des recherches tant gustatives que textuelles et plastiques, Naomi remonte le cycle des aliments en se penchant sur leur finitude et leur capacité de redéploiement.
Faire son marché d'artiste à Paris
A Paris, les saisons ne veulent pas dire grand-chose car on trouve tout tout le temps et partout, elle s’est donc détachée de la contrainte de la saisonnalité à tout prix. Cependant elle en a cherché d’autres (des contraintes) pour construire ses créations comestibles. En partant du postulat que Paris est une ville d’abondance, de ressource permanente et d’accès continu, elle a choisi de se pencher sur la face B de cette profusion, à savoir les restes. Et plus précisément les miettes, discrets rebuts des boulangeries alentour, fragments poussiéreux des pains au levain vendus à deux pas (boulangerie Petit Grain).
Des miettes, 1000 possibilités
A partir de ces restes, de ceux qu’on ramasse et met à la poubelle pour éviter de s’écorcher contre leur contours piquants et anguleux, qu’on époussette car ils font désordre sur une nappe blanche, elle trouve un matériau, étonnement malléable, qu’elle réinvente avec un mélange de fantaisie et de rigueur.
Fantaisie, c’est ce qu’on ressent lorsque l’on lit l’intitulé de l’atelier qu’elle a tenu ce jour à la Villa Belleville: “Pain perdu, miettes retrouvées”. Génial ce titre qui trace un cercle vertueux entre la disparition d’un aliment phare de notre quotidien, sa désintégration et sa redécouverte sous une forme apparemment pauvre, les miettes ne sont-elles pas les ruines de ce qui fut solide et grand ? comme une fortune que l’on se partage entre trop de membres intéressés, mais qui s’avèrent être un capital étonnant pour qui sait réinventer.
Et pour la rigueur, il y en a. Ainsi, pour l’atelier, Naomi a pris le temps de préparer un petit fascicule qui présente son postulat et cite ses sources (nombreuses).
Une définition des miettes tirée du dictionnaire, recoupée avec les expressions courantes où les miettes apparaissent. A chaque fois il s’agit de peu, comme lorsque l’on “vit de miettes” mais on décèle aussi un grand potentiel, voire une grande richesse dans ces fragments pour celui “qui n’en perd pas une miette”. Déjà on perçoit la direction que Naomi emprunte, à partir du très petit elle nous force à reconstruire une entité.
Suit une série de recettes, issues de différents pays, de différentes cultures. Crumble, Pangrattato, Sundae, Tuiles, glace, amazake, granité etc… La lecture de ce menu opulent contraste avec l’idée même de miettes! Ainsi on va faire tout ça durant ce workshop! Cela parait impossible! Et pourtant, durant 3 heures environ, nous avons mené à bien la mission et respecté l’ordre du jour. 2 groupes se sont attelés tour à tour à la préparation de tout l’énoncé. Façonnage et cuisson de tuiles, réduction de miettes et de feuilles de figuier en poudre fine, mise de la crème de miettes en sorbetière etc…
Naomi aime “épuiser” un ingrédient, le travailler sous toutes ses formes. Puis au cours de sa démarche d’épuisement, elle trouve un ingrédient qui va venir contrebalancer l’âpreté du monothème.
Si l’ingrédient peut être contenant en plus d’être un contenu, alors c’est encore mieux. On pense tout de suite à la feuille de bananier qui s’avère être un remarquable plateau (cuisine thaï, balinaise etc…) mais comment faire dans nos contrées de chênes et d’érables et dans nos villes pleines de gobelets en plastique?
Devant cette problématique Naomi s’est évidemment penchée sur la céramique. Son maniement est effectivement très proche de celui de la pâte à pain ou de toute autre pâte à modeler. Avec intensité, elle a créé des céramiques pour en arriver à la conclusion que la création de contenants accaparait tout son temps au détriment du temps dédié aux aliments en tant que tels.
Adieu nappe blanche et belles assiettes
En réalité, Naomi aimerait se passer de vaisselle et même de table pour présenter ses installations. Lors de performances passées elle n'a pas hésité à disposer ses compositions à même le sol. L'art de la table ne l'intéresse apparement pas ! C'est plutôt le potentiel de mutation des aliments qui attire son attention et la nôtre aussi par la même occasion.
Au final, la jeune artiste propose avec ingéniosité un design culinaire à la fois frugal et riche, détourné des artifices habituels des grands messes gastronomiques tout en créant du goût et du beau, et ça mérite le détour.
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